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Photo du rédacteurAnna Strelchuk

« Une femme autonome qui n'a pas d'enfant…c’est politique »

La réalisatrice française Rebecca Zlotowski revient avec son 5e long-métrage Les Enfants des autres, qui a été initialement présenté à la compétition officielle de Mostra de Venise 2022. Elle met en scène Virginie Efira et Chiara Mastroianni afin de déconstruire l’image archétypale de belle-mère. 


La journaliste Anna Strelchuk a rencontré Rebecca Zlotowski à Venise pendant le festival pour parler de l’action féministe dans le cinéma et de la représentation des femmes dans l’histoire du 7e art.


Anna Strelchuk : Comment vous est arrivée l'idée de ce film ?


Rebecca Zlotowski : J'ai commencé à adapter le roman de Romain Gary « Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable » pendant la pandémie de Covid-19. Moi, comme tout le monde, j'étais enfermée chez moi, seule avec moi-même et avec ma famille. J'ai remarqué que le choix de ce roman devenait peu à peu très personnel. J'ai commencé à me rendre compte que j'allais avoir quarante ans, que je n'avais pas d'enfants et que j'élevais les enfants de mon mari. C'était comme si quelque chose manquait…peut-être dans ma vie, mais aussi dans l'histoire de la représentation, parce que je cherchais des films, je voulais voir ce genre de personnages féminins et je ne les trouvais nulle part, et moi, je suis une forte cinéphile. J'ai cherché partout et je ne les ai pas trouvés. Bien sûr qu’il y a beaucoup de représentations archétypales de la méchante belle-mère, de Shakespeare aux contes et leurs adaptations Disney, mais il n'y a pas de représentation de personnes avec lesquelles on puisse s'identifier. Alors, j'ai fait un film que j'avais moi-même envie de voir.


Avez-vous une idée, pourquoi c’est ainsi ?  Pourquoi les belles-mères sont-elles restées longtemps des héroïnes secondaires et négatives ?


Il y a plusieurs raisons, je crois. Et je ne le condamne même pas, car même moi, j’avais besoin de temps pour comprendre que ce sujet pourrait être une intrigue principale et pas secondaire. Politiquement (et économiquement), on a récemment commencé à se rendre compte de l'importance d'aborder de tels sujets féministes. La maternité, la féminité, etc. ont longtemps été perçues comme des sujets « féminins » frivoles. Il y a beaucoup de films avec des ambitions masculines, de guerres, etc., mais il n'y a pas de diversité de sujets et de personnages féminins, bien qu'ils soient si familiers et largement représentés dans nos vies. Je pense donc que c'est avant tout une question politique. Les gens disent que tout a déjà été dit, toutes les histoires d'amour et de famille, mais ce n'est pas vrai. Puisque pas tout.e.s ont dit. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin d'inclusivité. Il ne s'agit pas d'être à la mode, mais de pouvoir entendre tout le monde. Et puis, même en nous-mêmes nous avons besoin de déconstruire ces images réduites.


Au début du film, l'héroïne est très désireuse d'établir une connexion et une bonne relation avec la fille de son partenaire, mais dans l'une des séquences au milieu du film, l’enfant tout à coup la blesse en rejetant. Pourquoi avez-vous décidé d’ajouter une telle dynamique à leur relation ?


C'est presque un tabou de dire qu'avoir des enfants n'est pas seulement une récompense, mais aussi un souci, quelque chose qui interfère parfois avec le travail, les relations amoureuses, etc. Dans le film je voulais faire comprendre qu'à un moment donné, l'enfant peut être parfait, on peut avoir une excellente relation, mais l'instant d'après, l'enfant peut la rejeter. Et surtout, je voulais montrer l’image d'une belle-mère qui ne soit pas agacée et hostile. Je voulais montrer l'amour par rapport à cet enfant qui grandit en elle : même le désir de maternité chez l'héroïne vient de la communication avec cette petite fille. 


Pourquoi avez-vous lié le désir d'enfants au personnage féminin ?


C'est une excellente question. Je ne l'ai pas fait évidemment parce que je suis moi-même une femme. Je me sens aussi assez à l'aise avec les personnages masculins. Il me semble que pouvoir filmer n’importe qui est mon travail, et je peux le faire. Je ne veux pas avoir affaire à des protagonistes féminins toute ma vie, disons.  Tout comme je ne veux pas que mes collègues cinéastes masculins créent uniquement des histoires masculines et des personnages masculins.


J'ai filmé l'histoire d'une femme simplement parce que cela me semblait une manière tellement simple et naturelle de faire un film. Vous voyez, je suis experte à 100 % de ma propre expérience. Néanmoins, j'ai hâte de voir d'autres récits cinématographiques qui restent à créer. Des réalisateurs, des réalisatrices, de tout le monde : j'attends d'eux qu'ils apportent de nouveaux récits et racontent de nouvelles histoires. En toute franchise, la seule séquence de tout le cinéma français qui soit pertinente pour notre histoire et qui me vienne à l'esprit est une séquence des « Rois et Reines » d'Arnaud Desplechin, où Mathieu Amalric parle à l'enfant de l'héroïne, jouée par Emmanuelle Devos, et il explique pourquoi il ne veut pas l'adopter. Bien sûr, c'est une histoire complètement différente, cependant je me souviens de cette scène pour toujours, car je n'ai jamais rien vu de tel dans les films. Arnaud Desplechin a accordé une grande attention aux relations au sein de la famille et à la parentalité. Il est l'un de ceux qui ont inventé de nombreux nouveaux récits familiaux.


J'ai beaucoup apprécié la façon dont vous avez reproduit l'idée de sororité dans votre film. Il y a une relation très chaleureuse entre l'ex-femme du héros (Chiara Mastroianni) et sa copine actuelle (Virginie Efira). Dans l'un des dialogues, la héroïne de Virginie dit : « Il faut qu’on arrête s’excuser pour les hommes. C’est lui qui m'a fait souffrir, pas toi ». Une réaction comme ça est-elle naturelle pour vous, ou était-ce une question de représentation plutôt ?


Tous les deux. L'héroïne interprétée par Virginie est vraiment très gentille dans cette scène. Bien que parfois on peut se mettre en colère, se permettre de ressentir la douleur. Pourtant, j'ai l'impression que ma gamme de réactions émotionnelles est plus proche de cela que l'inverse : comme, par exemple, cela se passe chez Xavier Dolan, que j’aime beaucoup, par contre. Chez lui il y a beaucoup de disputes, de conflits, de scandales. Je n'arrive pas du tout à m'y identifier. Cela ne ressemble pas à ma propre expérience. Donc, pour en revenir à votre question, c'est d'abord une autre « matrice » de mes émotions, mais il y a aussi une motivation politique : il faut déconstruire le stéréotype, selon lequel les femmes sont toujours rivales, se battent pour un homme, pour un enfant et tout ça. Comme j’ai entouré d’exemples opposés, je voulais le montrer. En particulier, je savais que je pourrais faire ce film parce que j'ai une relation incroyable avec la mère de l'enfant de mon partenaire. D’ailleurs, elle a regardé « Les enfants des autres » avec Virginie et Roschdy et j'ai accordé avec elle de nombreuses scènes.


Alors, vous êtes comme une famille ?


Oui, bien sûr, car nous avons quelque chose en commun, un lien très fort. De plus, elle a une personnalité merveilleuse.


En d'autres termes, j'ai senti qu'il fallait prendre notre scénario et le revoir afin d'en retirer toute « paresse » de représentations qui pourrait s'y trouver. Tout ce qui s'étend de représentations dépassées. Tout ce qui nous semble très « normal ». Tout cela doit être remis en question. Je suis une personne qui remet tout en question en général, en particulier dans mes films. En ce sens, je suis très juive. C’est pour cela, au fait, que le judaïsme est également présent dans le film. Si tout est remis en question, tout devient politique, mais pas comme une doctrine, pas comme une idéologie, mais comme un changement, un mouvement. 


Pouvez-vous préciser cette idée du politique? 


Faire face à une histoire de la représentation où les femmes se taisaient et s’étaient sexualisées. De créer une représentation-exception, qui oblige à reconstruire une image du monde : disons, une femme autonome qui n'a pas d'enfant, ça devient politique, c’est politique.


Comment le duo entre Chiara Mastroianni et Virginie Efira est-il devenu possible ? 


Je suis très heureuse que Chiara Mastroianni ait accepté ce tout petit rôle (seulement quelques jours de tournage), qui était cependant assez bonne pour qu'elle dise oui. Par ailleurs, j'étais très contente de remettre en question avec ce film l'idée qu'il n'y a qu'un seul bon rôle pour une bonne actrice dans un film, et c'est le rôle principal.


Sans avoir jamais collaboré auparavant, Chiara Mastroianni et Virginie Efira ensemble dans une scène étaient un bon argument en faveur de ce film et un bon signe pour continuer à le faire.


De plus, je dois avouer que cette phrase, qui est notée par de nombreu.s.es journalistes, qu'il ne faut pas s'excuser pour les hommes, je ne l'ai pas écrite. C'est mon producteur qui l’a inventée. Il a lu le scénario, cette scène était déjà prête : l'héroïne Virginie remercie le personnage de Chiara Mastroianni de l'avoir laissée dire au revoir à l'enfant. Mon producteur (un homme, d’ailleurs!) a suggéré que nous allions plus loin en ajoutant cette phrase. Voilà comment cette phrase, peut-être la meilleure du film, est apparue.



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