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Photo du rédacteurAnna Strelchuk

Entretien avec le réalisateur de Marcello Mio, Christophe Honoré : “...ce n'est pas du tout un hommage à Marcello Mastroianni”


© Les Films Pelleas

Dans Marcello Mio réalisé par Christophe Honoré, le rôle principal est incarné par Chiara Mastroianni, fille de la légende du cinéma italien, l'acteur-fétiche de Fellini, Marcello Mastroianni, et de l'actrice française aussi légendaire Catherine Deneuve. Cette comédie aux airs de mockumentaire suit Chiara, une actrice perdue dans sa propre vie, qui décide de se réinventer en empruntant l'identité de son père. Elle adopte ses manières, son style et même sa manière de parler, si bien que les gens autour d'elle commencent à jouer son jeu. Dans cet entretien, nous allons plonger dans les coulisses de ce film et explorer les thèmes de l'identité, de la célébrité et de la famille, avec le réalisateur du film Christophe Honoré.


Anna Strelchuk : Votre film est dédié non seulement à Mastroianni mais au cinéma et au travail des acteurs de cinéma en général. Était-ce votre intention dès le début ou était-ce naturel ?

Christophe Honoré : Le point de départ du film c'est d'essayer d'interroger la mémoire collective que crée le cinéma et de la mettre en dialogue avec une mémoire plus intime et plus personnelle des gens qui travaillent dans le cinéma et de voir comment ces deux mémoires se croisent. Je n’ai jamais perçu ce film comme un hommage à Marcello Mastroianni, même si j'admire évidemment cet acteur. Quand j'ai commencé à parler de ce projet à Chiara, elle m'a dit : "Ah, c'est fou parce que ça va être le centième anniversaire de mon père et si on fait ce film, c'est parfait puisque j'aurai pas besoin d'aller au festival pour y faire des discours, il suffira juste qu'on montre le film. Le film parlera lui-même."


Dans un contexte plus large, percevez-vous ce film comme une histoire sur le mélange de la vie privée et de la vie publique d'un acteur ou d'une actrice ?

CH : En tout cas, c'est étrange parce que, en tant que spectateur de cinéma, on sait bien que la célébrité de certains acteurs (parce que pas tous les acteurs sont célèbres), entraîne toujours du soupçon du côté du spectateur. Dans le film, il y a une idée qu'à un moment on peut réclamer une vérité. C'est comme à la fin du film quand il y a une émission italienne et on arrête pas de dire à Chiara : "Maintenant, dites-nous la vérité, dites-nous la vérité !" Comme si derrière la célébrité se cachait toujours une vérité. Mon film essaye d'interroger ça : ce secret caché par la célébrité. Alors que je n'ai pas voulu avec mon film dévoiler les secrets des gens célèbres mais au contraire construire un secret beaucoup plus intime et beaucoup plus personnel.


Je peux à peine imaginer le processus créatif du film. Avez-vous écrit le scénario seul ou avez-vous collaboré avec Chiara sur celui-ci ?

CH : Non, au début, je lui ai juste parlé du film, de l'idée du film et je lui ai demandé une autorisation. C'était un contrat d'amitié entre nous, je lui ai dit : "Est-ce que tu m'autorises à commencer un film qui serait le portrait d'une actrice qui perd son identité et qui retrouve son identité en s'identifiant à son père ?" et, comme on a fait beaucoup de films ensemble, elle m'a dit : "Oui, on va enfin faire une comédie." Puis j'ai écrit secrètement le scénario et je l'ai envoyé au même moment (je me souviens, c'était vendredi soir) à Catherine <Deneuve>, à Chiara <Mastroianni>, à Fabrice Luchini et j'ai attendu un week-end pour voir leur réaction, mais ce n'était pas du tout un scénario que j'ai écrit en complicité avec les acteurs. C'était mon rêve de leurs vies. J'avais une morale personnelle de cinéaste : ne rien dévoiler de leur vie privée. C'est la vie que j'ai imaginée pour eux.


Les acteurs ont-ils ajouté quelque chose au film ? Par exemple, lorsque Luchini parle de Michel Bouquet ou d'autres histoires ?

CH : Moi, de toute façon, sur le tournage, je suis un cinéaste qui méprise son scénariste et il se trouve que je peux mépriser mon scénariste parce que je suis scénariste et je pense que c'est toujours plus intéressant ce qui se passe le jour de tournage avec les acteurs que ce que j'ai écrit. Donc j'invite toujours les acteurs et les actrices à ces essais portés par la scène, par l'humeur et à inventer des choses. Certains acteurs comme Chiara improvisent très peu de texte, ne s'autorisent pas. Fabrice Luchini, par contre, il aime ça (vous n'avez pas besoin d'ouvrir cette porte pour qu'il envahisse la maison entière) et donc il gardait certaines improvisations. Michel Bouquet est un acteur très connu en France qui, principalement, travaillait au théâtre et qu'on a vu au cinéma chez Truffaut, etc. et donc c'est très drôle quand il apparaît dans la bouche de Fabrice Luchini qui dit que le seul conseil qu'on peut donner à un acteur c'est de ne pas avoir de personnalité. C'est tellement étrange que Fabrice Luchini, qui est un acteur qui a beaucoup de personnalité, dise cela et donc évidemment ce paradoxe m'intéressait.


© Les Films Pélleas
Concernant la relation entre la mère et la fille, est-ce vrai que Catherine Deneuve est un tel ange gardien pour Chiara ou est-ce juste pour le film ?

CH : J'ai déjà fait un film avec Chiara et Catherine qui s'appelle Les Bien-Aimés qui était un film assez étrange en fait parce que c'était un personnage de mère qui était plus puissant et plus libre que sa fille et plus heureuse aussi, mais très honnêtement, je ne sais pas et je ne veux pas savoir ce qu'est la relation entre Catherine et Chiara. Mon film propose une relation mère/fille qui est assez scénarisée et romanesque. Je ne pense pas que Chiara oserait mettre comme sonnerie de téléphone de sa mère la Walkyrie de Wagner, par exemple. Je ne suis pas sûr que Chiara ferait ça à Catherine, mais c'était amusant dans le film de travailler aussi sur la dérision. Donc, le film a essayé d'être le plus juste, sincère et loyal possible. Mais cette sincérité et cette loyauté, elles étaient basées sur un contrat que ce n'était pas une promenade documentaire sur leur relation.


Pouvez-vous en dire un peu plus sur votre recherche. Peut-être savez-vous quelque chose de spécial sur Marcello Mastroianni que nous n'avions pas su ?

CH : Non, parce que, en fait, justement, je me suis un peu interdit, puisqu'il y a beaucoup de livres qui sont sortis sur la vie de Marcello Mastroianni, et je n'en ai lu aucun, vraiment cela ne m'intéressait pas du tout. Par conséquent, j'aurais été très gêné et très embarrassé., Je me suis senti indécent en fait d'envisager le film avec des éléments proustiens sur la vie de Marcello Mastroianni. En revanche, j'ai revu… pas tous les films de Marcello Mastroianni parce qu'il y en a vraiment des quantités, il y a même des films (italiens en particulier) qu'on arrive plus à voir aujourd'hui… et donc j'ai essayé de nourrir le film avec beaucoup d'échos, de fictions que Marcello Mastroianni a jouées. Il y en a presque dans chaque scène du film. Elles sont fertilisées par des scènes de Mastroianni qui ne fonctionnent pas tout à fait comme des références mais qui sont devenues la matière de mon film.


Je veux vous interroger sur une scène où Chiara arrive à Rome et avant son passage à la télévision italienne (qui termine mal), elle entre dans un cimetière où Marcello Mastroianni est enterré, mais on ne voit pas la tombe de Mastroianni dans le film. Était-ce une décision consciente ?

CH : C'était très étrange pour moi parce que, quand on a tourné à Rome, mon hôtel était juste à côté du cimetière et pendant tout le tournage, je me suis dit : "Je vais aller sur le tombeau de Mastroianni"... et je n'ai pas osé ! Vous savez, moi, je suis breton, j'ai peur des fantômes qui peuvent se venger. Cette scène, elle n'était pas écrite au scénario. Pourtant, quand on a tourné la petite ballade en scooter avec Chiara, j'ai dit à Chiara : "Tu vas juste t'arrêter devant, mais tu ne vas pas rentrer" et j'ai juste fait ce petit truc de mise-en-scène, d'arrêter cette pop musique un peu bizarre pour créer ce sentiment soudain de rupture forte comme si la mort pouvait s'inviter dans le film, mais finalement, elle ne s'invite pas.


Dans le film, on sent beaucoup d'amour pour Fellini et Visconti. Quel est votre rapport avec le cinéma italien en général ?

CH : C'est très étrange, mais pour moi, les Nuits blanches de Visconti sont liées à Jacques Demy. Quand j'étais un très jeune cinéphile, mon film préféré (que j'ai découvert il y a 14 ans et qui est toujours mon film préféré aujourd'hui) était Lola de Jacques Demy et Lola de Jacques Demy est un remake des Nuits blanches de Visconti. Le sujet de Lola – Anouk Aimée qui attend son amoureux qui est parti en Amérique et qui se refuse à un nouvel amour parce qu'elle pense que son amoureux va revenir – fait écho au film de Visconti – Maria Schell qui attend aussi le retour de son aimé et qui se refuse à Marcello Mastroianni. Donc, pour moi, le film de Visconti est très lié à Marcello Mastroianni, parce que j'ai vu beaucoup des Nuits blanches et même si souvent on associe Marcello à Fellini, dans les Nuits blanches où il est très jeune il y a quelque chose qui me touche particulièrement.


J'aimais bien l'idée que le film était dans la position de Maria Schell – en tout cas, c'est comme ça que moi, je voyais le film. Marcello Mastroianni est là, on pourrait être embrassé par Marcello, il pourrait être là d'une manière flagrante, mais je voulais que non. J'ai voulu qu'il soit là d'une manière fanée, juste comme un esprit.


© Les Films Pélleas
Dans le film, Chiara semble être finalement libérée…

CH : Le film essaye de raconter quelque chose qui est de l'ordre de l'ordinaire, alors qu'il y a une actrice célèbre et une famille célèbre, mais c'est quelque chose qu'on pourrait tous vivre et qu'on a tous vécu, à savoir comment on est assigné par les autres à une identité qui n'est pas uniquement notre identité. En réalité, mon film est le portrait d'une femme qui, à un moment, dit au monde : "Bah… puisque vous me prenez pour mon père, je vais être mon père, je vais changer moi-même et serai lui !" qui lui permet de métamorphoser son identité. Elle n'a pas quitté son identité de femme pour devenir homme ou son identité de fille pour devenir père, elle va au cours du film avoir son identité qui se métamorphose et nous, en tant que spectateurs, on va finir même par projeter des souvenirs qu'on a de certains films et les projeter aussi sur le personnage. Donc, pour moi, ce film, c'est ça, c'est comment une femme essaye de s'échapper d'une identité attribuée.


Alors, cette question d'identité, était-elle plus importante pour vous dans ce film que la question de l'héritage culturel ou du tribut à Marcello Mastroianni ?

CH : Bien sûr ! Pour moi, ce n'est pas du tout un hommage à Marcello Mastroianni. Vraiment pas du tout. J'aime bien sûr Marcello Mastroianni, mais je n'ai pas de fétichisme avec les acteurs. Je pense qu'on se réveille tous en se disant : "Je veux être quelqu'un d'autre que ce que les autres pensent de moi" et forcément, en tant que cinéaste, c'est pareil. Moi, je suis une espèce de cinéaste français - bavard, parisien – et j'aimerais pouvoir m'échapper de ce que les gens projettent sur moi en disant que je viens de Bretagne et je ne sais rien de l'environnement où Chiara Mastroianni a grandi. Ce qui m'intéressait, c'est comment un personnage à un moment s'échappe d'une prison et que le film devienne une sorte de promenade où soudain on ne sait plus si leur vie c'est de l'ordre du rêve ou de la réalité et même les décors finissent par se métamorphoser. La loge finit par se transformer, on se trouve dans une rue qui est la rue où Fellini a filmé la fameuse scène avec Claudia Cardinale et Marcello Mastroianni dans 8 et ½. L'idée que le cinéma nous permet tous, spectateurs et gens qui travaillent dans le cinéma, de nous révéler à nous-mêmes mais aussi de nous inventer nous-mêmes sans cesse. Nous, les gens ordinaires, et pas que les enfants de…


Pour finir, juste un mot sur Nicole Garcia dans votre film ?

CH : Nicole Garcia a cette double identité. Elle est une actrice très connue et talentueuse, française, qui a joué dans des films de Resnais et, d'un autre côté, elle est une grande réalisatrice. On parle de la nouvelle génération de réalisatrices françaises comme Justine Triet, oubliant que la cinématographie française a eu de grandes réalisatrices depuis longtemps. Alors, quand j'ai su que j'avais ce personnage de réalisatrice, j'ai pensé que c'était agréable de lui offrir le rôle parce qu'elle a l'esprit et l'ironie pour le jouer. Et pour être franc, pour moi, un des plus beaux rôles de Catherine Deneuve, c'est dans Place Vendôme et c'est Nicole Garcia qui a filmé Place Vendôme qui était aussi un portrait de femme-prisonnière de son image.


© Les Films Pélleas

L'autrice


Anna est journaliste indépendante et critique de cinéma en Master 2 de philosophie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a été publiée chez, entre autres, Iskoustvo kino (« L’art du cinéma »), Le Média, KinoPoisk, Afisha, DOXA Magazine. Anna a rejoint notre pôle des Cinesthésies, le ciné-club d’Opium Philosophie se réunissant au Reflet Médicis.

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